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Ma Liste Noire

Traduit (librement) de l’article paru dans Paddling Magazine (printemps 2018) par Jeff Jackson

Il y a quelques pagayeurs avec qui je ne descendrais jamais plus une autre rivière. Des personnes sympathiques pourtant mais avec lesquelles je ne veux plus me retrouver sur l’eau.

Prenons Hervé par exemple. Il fait partie de mon cercle d’amis, est un meilleur kayakiste que moi et a déjà descendu des rivières avec moi de nombreuses fois. Mais les problèmes se sont accumulés avec le temps. A force de s’amuser juste en amont d’embâcle ou encore d’aller intentionnellement dans des trous collants, il a brisé quelques pagaies et s’est cogné la tête plusieurs fois. Un jour, il a fait demi-tour sur une roche juste en haut d’un seuil et a pinné son kayak de reculons. Je l’ai aidé à se sortir de là mais je me suis promis de ne plus jamais me retrouver dans une telle situation.

Prenons Jean-Noël maintenant. Il ne fait pas partie de mes amis, mais il fait partie du groupe local de pagayeurs. Un jour, durant la descente d’une rivière en crue, il a nagé à quatre reprises alors qu’il était totalement paniqué et à bout.  Je me suis dis que je ne voulais plus jamais revoir un tel carnage.

Puis finalement, Danielle. Elle nous pose toujours des lapins en n’étant pas là au rendez-vous. Le groupe l’attend ne sachant pas si on devrait encore l’attendre quelques minutes ou non. Elle a toujours un empêchement ou quelque chose. J’ai décidé de ne plus l’appeler.

Comme vous l’avez deviné, ces noms et exemples sont fictifs. Ma liste noire est en fait constituée des pagayeurs en qui je n’ai pas confiance.

Dans ma vie professionnelle, j’étudie la sécurité. Spécifiquement comment les relations sociales, la pression du groupe par exemple, ont un impact sur la sécurité. Mes recherches touchent à différents secteurs industriels mais j’y inclue souvent notre petit monde de l’eau-vive. Cet environnement est un bon terrain d’étude pour les comportements liés à la sécurité. Une étude analysant l’influence des guides de raft les uns sur les autres a démontré le rôle majeur joué par les relations de confiance dans les apprentissages lié à la sécurité.

Dans la communauté académique, il existe un consensus que le niveau de confiance qu’on accorde à une personne varie en fonction de 3 facteurs : compétence, intention et prévisibilité. Autrement dit, on fait confiance aux pagayeurs qui ont les aptitudes requises pour les sections qu’ils choisissent, semblent être là pour des raisons qui s’alignent bien avec les nôtres et qui vivent régulièrement de belles journées sur l’eau en contrôle de leurs moyens.

L’importance relative de ces trois facteurs dépend du contexte. Pour les guides de raft, la prévisibilité est critique. Certains guides ont un niveau d’aptitude plus élevé et la motivation peut varier d’un individu à un autre, mais il reste que les guides les plus appréciés sont ceux qui atteignent constamment les objectifs attendus.

En fait, ce que les guides souhaitent le plus est que leurs collègues leur fassent confiance. Cette même confiance qui compte pour de l’or dans le monde du raft. Quand les guides louangent les capacités d’un des leurs, ils impliquent clairement qu’on peut se fier sur cette personne. Plus spécifiquement, cela veut dire que le comportement de l’individu est prévisible en termes de sécurité et de performance.

Les guides ont aussi leur liste noire de guides avec qui ils ont travaillé mais à qui ils n’accordent plus leur confiance. Ma recherche a démontré que couvrir les arrières d’un mauvais guide augmente le niveau de stress sur la rivière de manière significative.

Pagayer avec des gens en qui on n’a pas confiance est toujours très stressant. Même quand on n’est pas un guide de raft, la confiance est le critère primordial pour assurer la cohésion de groupe. C’est aussi un prérequis incontournable pour une nouvelle personne qu’on accueille dans notre gang.

La plupart du temps, un pagayeur va se sentir obligé d’aider un kayakiste dans le trouble, et ainsi prendre une part de responsabilité à leur place. Au mieux, l’expérience sera désagréable et, au pire, traumatisante.  Plus tard, on ajoutera sans doute cette personne à notre liste noire. Il ne faut donc pas se sentir coupable de prendre les devants en évitant de pagayer avec certains individus – c’est de la préservation, parfois au sens propre du terme.

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